Je n’aime pas le développement personnel. Mais qu’il n’y ait pas d’équivoque : je ne suis absolument pas contre le fait de vouloir s’améliorer, apprendre, découvrir de nouvelles choses, ou progresser dans la connaissance de soi, des autres et du monde.
Mais je n’aime pas le développement personnel.
Je veux dire, le concept en tant que tel. La vision autocentrée qu’il véhicule et surtout la marchandisation dont il fait actuellement l’objet.
Cette injonction à « devenir la meilleure version de soi-même », pour reprendre ses termes, me semble des plus nocives et perverses…
Devenir la meilleure version de soi-même, se libérer de ses croyances limitantes, dépasser ses limites, en faire toujours plus pour… Pourquoi, au juste ? En réalité, on ne sait plus très bien.
Mais nous sommes envahis par ce concept, nouvelle idéologie d’un monde digitalisé dans laquelle tout le monde se vautre allègrement, symptôme d’une société où plus personne ne se parle, mais où chacun veut se montrer sous son meilleur jour.
Vos liseuses Kindle sont sûrement remplies à rabord de gigaoctets d’ouvrages sur le sujet et votre flux Instagram ou LinkedIn déborde certainement à en vomir de cette insipide soupe de citations bouddhisto-philiosophiques, évocatrices du chemin qu’il reste à parcourir.
On y convoque avec autant d’audace que d’incohérence Nelson Mandela, Jordan Peterson, Bouddha, Socrate (le philosophe), Michael Jordan, Socrates (le joueur de foot brésilien) ou Jean-Claude Vandamme, en les obligeant à faire le grand écart entre philosophie de comptoir, supplique, invocation et ultimatum.
Si vous scrollez un peu plus bas, il y a même ces extraits de discours de Steve Jobs sur fond de musique mélodramatique, dans lesquels un spectre christique en col roulé noir donne ses conseils de vie pour se surpasser : rester “foolish”, croire en soi, innover et devenir encore meilleur. Merci, Steve — ou devrait-on dire « Amen » ?
Bien sûr, qui refuserait une version améliorée de soi-même ? Dans tous ces ouvrages, tout n’est pas à jeter. D’ailleurs, la liste qui suit en contient quelques-uns ; ne soyons pas manichéens juste pour le plaisir.
Mais derrière ces discours apparemment sucrés et inoffensifs se cache à peine la montée d’une idéologie — au sens de système de pensée — qui revêt aujourd’hui les habits tantôt d’un Gandhi dévoyé, tantôt d’un Marc Aurèle revisité à la sauce crypto, ou encore d’un Elon Musk avec qui on va partir à la conquête de la galaxie tout entière.
Car, pour le dire de manière un peu crue, la forme de bien-être promise par le développement personnel constitue trop souvent une exploitation de soi par soi. D’ailleurs, dans la notion de développement personnel, il n’y a pas trop de place pour les autres… Dans ce monde merveilleux, tout tourne autour de cet axiome : quand on veut, on peut, et il faut souffrir pour être heureux. No pain no gain… Avec le développement personnel, même le mérite se mérite…
Et puis, la manière dont nous sont livrées de manière packagée ces leçons de vie et ces recettes prémâchées, prédigérées, font souvent affront à l’intelligence humaine et à l’esprit de déduction.
A quoi ressemblent ces ouvrages ? Ce sont des livres bullet points, des modes d’emploi pour se faire des amis, se mettre (enfin) à penser, dormir moins mais mieux, savoir à quelle heure se lever, devenir millionnaire même si on est pauvre, rester riche si on l’est déjà, gagner en masse musculaire sans prendre du gras, avoir du charisme sans écraser les autres grâce à ces cinq phrases à prononcer devant son miroir tous les matins…
Comme si nous n’avions plus le temps de penser, de rêver, de découvrir les choses par nous-mêmes ; comme si le temps nous manquait pour faire des erreurs et recommencer parfois.
Et puis, en faisant quelques recherches pour écrire cette chronique, je me suis rendu compte que le développement personnel, c’est un peu comme la mode : ça change tous les ans.
L’année dernière, je découvrais qu’il fallait se lever à 5 heures du matin et exécuter sa “Miracle Morning” routine pour s’épanouir comme Richard Branson et Anna Wintour.
Et puis, la semaine dernière, j’ai appris dans la newsletter de IInc.com — la bible du startuper californien efficace — que Tim Cook, le CEO d’Apple, se lève tous les matins à 3 heures 45 (précisément) pour éplucher entre 500 et 600 mails. Ensuite, à 5 heures tapantes, il file à la salle de sport pour se défouler… Pas étonnant qu’il soit stressé, Tim. Cinq cents mails tous les matins, il y a de quoi angoisser. Et au fait, il se couche à quelle heure ? Et pour voir sa femme, est-ce qu’il réserve aussi un créneau dans son Apple calendar ?
Le manifesting et le stoïcisme new age.
L’un prône l’utilisation de diverses stratégies d’autoassistance pseudoscientifiques destinées à atteindre un objectif personnel, principalement en concentrant ses pensées sur le résultat souhaité. Je pense très fort, donc je réussis… Pourquoi pas ?
Et, remis au goût du jour par l’explosion du développement personnel, le stoïcisme — courant philosophique antique prônant le lâcher-prise — n’a jamais été aussi présent dans les médias et sur les réseaux sociaux : le pragmatisme d’Épictète, Sénèque ou Marc Aurèle fait de plus en plus d’émules.
Comme ça, vous êtes au courant.
Bon, mais alors, que peut bien contenir la liste de livres sur le développement personnel de quelqu’un qui n’en est pas l’adepte ? Eh bien, des ouvrages que j’ai sélectionnés pour ce qu’ils m’ont apporté et ce qu’ils m’ont donné à penser et à réfléchir, ou qui m’ont permis de découvrir une autre façon de penser.
Alors, ne cherchez pas La semaine de 4 heures de Stephen Covey ni Les quatre accords toltèques. Non pas que j’aie un problème avec le chiffre 4. Mais les recettes miracles des étudiants de Stanford qui parlent trois langues couramment à l’âge de douze ans et les philosophies de chamans mexicains qui commandent leur poudre d’ayahuasca sur Amazon Prime, j’y crois moyennement.
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Le stoïcisme en version originale. Ce Manuel d’Epictète peut constituer une excellente introduction dans le monde de la philosophie : court (une petite heure suffit pour le lire), simple, clair — avec beaucoup d’exemples pratiques — et directement utile, puisque centré sur la question « Comment organiser sa vie pour être heureux ? ».
La réponse d’Epictète est assez simple : ne se préoccuper que des choses sur lesquelles on a réellement prise, savoir supporter avec résignation toutes les autres. Notre vie est toute tracée, nos gesticulations inutiles n’y changeront rien, il faut vivre le rôle qui nous est assigné du mieux qu’on le peut.
Ce déterminisme peut parfois agacer, surtout que le courant dominant de notre époque enseigne l’exact opposé : avec suffisamment de volonté, on peut venir à bout de tous les obstacles et réaliser tous ses rêves.
Epictète a le mérite de nous forcer à réfléchir sur ce qu’on peut vraiment contrôler. Car si l’on place les conditions de notre bonheur dans les mains des autres, il ne faut pas s’étonner que ça puisse de temps en temps mal tourner.
« Nous habitons une planète errante. » Saint-Exupéry, qui vient d’être nommé pilote de ligne, découvre, admire, médite sur notre planète. Assurant désormais le courrier entre Toulouse et Dakar, il hérite d’une vaste responsabilité à l’égard des hommes, mais surtout de lui-même et de son rapport au monde.
Tout en goûtant « la pulpe amère des nuits de vol », il apprend à habiter la planète et la condition d’homme, lit son chemin intérieur à travers les astres. En plus du langage universel, il jouit aussi chaque jour de la fraternité qui le lie à ses camarades du ciel. Il rend hommage à Mermoz ou à Guillaumet, à qui est dédicacé le roman et dont il rappelle les célèbres paroles : « Ce que j’ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. »
Une autobiographie baignée dans un halo d’histoires plus ou moins vraies, plus ou moins féériques, toutes acquises au dieu aéropostal.
Un lyrisme des espaces doué d’une fibre humaniste très développée, un relent d’optimisme derrière chaque montagne, une allégorie sous chaque fable, la plus belle étant peut-être celle de « L’Orange dans le désert » : le symbole de l’espoir, quand le savoir et la science ont échoué, reste ce menu trésor, naturel, tout simple, brillant comme le soleil, rond comme la petite Terre des hommes.
L’Afghanistan dans les années 1950. Le bouzkachi, LE jeu équestre objet de tous les honneurs. Toursène, le plus grand des tchopendoz (joueurs de bouzkachi), désormais maître des chevaux. Ouroz, son fils, qui porte tous ses espoirs. Mokkhi, son saïs, serviteur et palefrenier de Jehol, LE cheval. Zéré, la petite nomade arriviste. Guedj, le conteur sans âge. Tout ce petit monde se croise dans une traversée du pays qui, à défaut d’être épique, prend aux tripes.
Ce roman est grande épopée dramatique qui se déploie sur 570 pages ; un grand roman plein d’émotions fortes et complexes, révélatrices d’une connaissance riche des hommes et des aléas de la vie ; une mise en scène intelligente et sensible de destins croisés, dont le seul élément fixe serait l’amour du cheval, de l’Afghanistan, d’un mode de vie authentique.
Dans Les Cavaliers comme dans ses autres romans, Kessel est bien ce « barbare au cœur sensible », qui, enfant, a hésité entre l’écriture et la boxe.
Il conte, sans grandiloquence et sans dissimuler leur part sombre, l’aventure et l’héroïsme. Trop concret pour se faire moraliste ou philosophe, il nous ouvre pourtant toute sa sensibilité quand il s’agit de décrire les tourments passionnels des hommes et les souffrances des faibles.
Un livre inoubliable, donc, un must ; l’aïeul de tout le monde, Jeol, Ouroz et Zere hanteront encore longtemps mon imaginaire, quand toute connaissance sera évanouie. Comme le disait Anatole France: « Savoir n’est rien, imaginer est tout. Rien n’existe que ce qu’on imagine.”
Un vrai livre de développement personnel. Si vous arrivez à passer outre le vocabulaire pontifiant avec des « paradigmes » à tout va, le style souvent indigeste et le côté politiquement correct très américain, ce livre pourra vous aider à améliorer vos relations et à avancer vers vos objectifs.
J’ai en tout cas l’impression qu’il m’a été très utile, notamment dans ma vie professionnelle, mais pas seulement, et je le reprends régulièrement.
Les sept habitudes définies par Stephen Covey font partie de ces principes pleins de bon sens qu’on oublie pourtant souvent quand on a le nez sur le guidon de notre vie : se concentrer sur les choses sur lesquelles on peut agir plutôt que se plaindre de ce sur quoi on n’a aucun impact, choisir sa réaction face aux contrariétés du quotidien, décider de ce qu’on veut vraiment faire avant de commencer, privilégier ce qui est important plutôt que ce qui est urgent ou facile, chercher à comprendre avant de vouloir être compris, développer constamment de nouvelles compétences.
À peine sorties de la Seconde Guerre mondiale, les nations occidentales ont repris leurs vieilles habitudes : exploiter les ressources du monde à leur profit, peu importent les conséquences. Peu s’intéressent au sort de l’Afrique, encore moins des éléphants africains. Sauf Morel. Cet homme, d’abord sous-estimé, presque inconnu, devient peu à peu l’ennemi numéro un. Administrateurs coloniaux, chasseurs, contrebandiers, jésuites, chefs de tribu… tous s’entendent pour dire qu’il dérange.
En tant que lecteur, on ne peut que s’émouvoir du sort des éléphants et même de ce pauvre Morel, un idéaliste luttant presque seul contre un monde cruel.
Gary a réussi à décrire avec réalisme tous les enjeux. Il a su cerner et analyser la situation géopolitique de la région (l’Afrique équatoriale française) et a inséré son histoire dans une autre encore plus grande.
Derrière la volonté de préserver les éléphants surgit celle de sauver l’honneur de l’humanité par un combat qui la dépasse. Tel est le sens de ce magnifique titre, Les Racines du ciel, qui souligne le besoin humain de justice.
Le roman, paru en 1956, relève presque de la prescience ou du vaudou. À cette époque, Nicolas Hulot n’avait pas encore inventé le gel douche et les animaux ne bénéficiaient pas encore de 30 millions d’amis. Certes, Romain Gary, expert en filouteries, a ajouté dans l’édition de 1980 des mentions à l’écologie ignorées à l’époque, mais cela n’enlève rien aux qualités visionnaires de ce roman verdoyant qui lui a valu son premier Goncourt.
Ce livre donne, de façon très claire et accessible à tout public, un point de vue scientifique sur les questions existentielles de l’origine de l’univers, de la vie et de l’homme ; autant de questions éminemment passionnantes. Très agréable à lire, vivant. Une réussite de vulgarisation scientifique.
Trois grands scientifiques, Hubert Reeves, Joël de Rosnay, Yves Coppens, et le journaliste Dominique Simonet nous racontent en trois actes notre histoire.
Cette merveilleuse aventure s’étend sur 15 milliards d’années, depuis le Big Bang jusqu’à l’homme, en passant par l’apparition de la vie sur Terre.
Ces trois scientifiques répondent à des questions passionnantes avec beaucoup de simplicité et nous éclairent sur le mystère et la beauté de la vie. Ils répondent à des questions comme celle-ci : y a-t-il une intention dans la nature ?
« On peut dire, d’une certaine manière, que la complexité, la vie et la conscience étaient déjà en puissance dès les premiers instants de l’univers, comme inscrites dans la forme même des lois. […] Si la nature avait eu l’intention d’engendrer des êtres conscients, elle aurait “fait” exactement ce qu’elle a fait. »
Nous sommes des poussières d’étoiles et connaître notre histoire nous apportera peut-être la sagesse et l’humilité nécessaires pour vivre en harmonie avec notre planète. Notre évolution se veut désormais plus technique et morale que biologique. Il ne faudrait pas que la nature se soit trompée en atteignant ce niveau d’évolution. Ce serait dommage d’en arriver là : « On peut résumer le drame cosmique en trois phases : la nature engendre la complexité ; la complexité engendre l’efficacité ; l’efficacité peut détruire la complexité. »
Ne décevons pas la nature.
« En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste désire être reconnu. Je le désire aussi. »
Dans ce discours, Camus insiste sur le fait que, dans un contexte de destruction et d’oppression, la tâche de l’écrivain est de se tenir au côté des opprimés, de donner une image de leur souffrance. L’artiste est parmi les hommes, au service de la vérité et de la liberté. Pour autant, il ne peut donner de leçons et est obligé à une certaine humilité.
Puis, il insiste sur l’engagement de l’écrivain : « Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’Histoire : il est au service de ceux qui la subissent. » Avant d’ajouter : « Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracine toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression. »
Un discours inspirant et profond qui parle d’engagement et qui remet à leur place la plupart des conférences Ted Talks ou TedX dont voici un ultime extrait : « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde ; pourtant, la mienne sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Qu’a-t-on à apprendre d’un homme qui a été adulé par la communauté geek pour avoir « inventé » l’écran tactile et le smartphone moderne, mais jamais critiqué pour n’avoir rien fait pour améliorer les conditions de travail inadmissibles des travailleurs chinois surexploités qui les assemblent dans ces villes-usines qui sont un affront de plus à ce qu’il nous reste d’humanité ?
Vous l’aurez compris, mon admiration pour Steve Jobs est des plus limitées — même si dans le monde entrepreneurial, il restera une figure incontournable.
Durant toute sa carrière, le fondateur d’Apple a été reconnu pour ses prises de parole, notamment ses célèbres Keynotes lors desquelles il présentait les dernières innovations de la marque. En juin 2005, lui qui n’a pourtant jamais été diplômé du supérieur s’est rendu à la prestigieuse université de Stanford pour partager trois grandes leçons apprises au cours de sa vie et qui mènent au succès.
Au-delà du mythe du self-made man, c’est le discours d’un homme que la mort proche a peut-être rendu plus humble que d’habitude. À écouter et réécouter.
Cette liste n’engage que moi, bien entendu, et pourquoi pas la compléter ensemble ? Quels sont les ouvrages qui ont marqué votre vie et vous aident au quotidien ?
On se retrouve pour la suite de notre série Thé ou Café avec HUB Brussels. Pour ce deuxième épisode nous accueillons Emile Fyon, le CEO de Penbox.
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